Point de vue

RE2020 : Faire avec la règle sans y perdre son bon sens !

La RE2020, applicable depuis le 1er Janvier 2022 au dépôt du permis de construire pour des logements neufs, invite les concepteurs à prendre en compte de façon plus large qu’auparavant l’impact environnemental des bâtiments, en s’intéressant notamment à l’impact carbone des matériaux utilisés pour la construction. Mais ce calcul règlementaire reste par définition un calcul « de convention », qui ne peut pas se substituer à une réflexion adaptée au projet, sous peine de contresens…

RE2020_Batiment-bien-conçu

Une règle peu contraignante pour le logement collectif neuf d’ici 2025

Les études exploratoires que nous avons réalisées sur l’indicateur Ic,construction montrent que pour la plupart des projets, le seuil applicable jusqu’en 2025 est respecté sans modification majeure des pratiques constructives courantes.

Des adaptations du projet portant sur des sujets secondaires au moment du dépôt du permis de construire (sélection de références commerciales performantes pour les produits de second œuvre notamment,  ou encore sélection de béton à moindre impact carbone) permettent le plus souvent de valider l’exigence règlementaire sur ce critère.

Ainsi, cette période - préalable à un durcissement sévère en 2025 - permet surtout aux concepteurs et maîtres d’ouvrage de se familiariser avec les enjeux de cette nouvelle exigence. Encore faut-il que cette « acculturation au carbone » ne se fasse pas à contresens !

Le calcul conventionnel de la RE2020 sur l’indicateur Ic,construction , présente des spécificités qui en font une boussole parfois inadaptée pour servir d’aide à la décision pour la réduction de l’impact environnemental réel des solutions constructives dans le bâtiment.

En particulier, la règle d’or de l’Analyse de Cycle de Vie (ACV), méthode à la base du calcul Ic,construction , est de comparer des processus rendant le même service. Appliqué à un bâtiment de logements collectifs, un processus se définit par exemple par « loger pendant 50 années, dans de bonnes  conditions de confort, de sécurité et de santé, X personnes réparties dans Y logements pour une surface habitable de Z m² ».

On remarque avec cette définition que la notion de « service rendu » par un bâtiment n’est pas simple à qualifier : l’architecture, les fonctionnalités offertes dans le logement, ne s’apprécient pas uniquement à l’aide de données quantitatives. Egalement, la durée de vie d’un bâtiment, suivant son contexte et ses qualités, n’est pas forcément un élément fixé d’avance, alors que pour la RE2020, la durée de 50 ans est prise en référence, fixant ainsi un cadre conventionnel.

Analyse de Cycle de Vie (ACV) et importance de l’objet de l’étude

Quand la règle et le bon sens divergent :  quelques exemples

Qualité d’habiter

Ainsi, pour la RE2020, un bâtiment offrant l’accès à des espaces extérieurs privatifs (balcons, terrasses…) sera évalué sur la même échelle qu’un bâtiment qui n’en propose pas… et aura donc plus de mal à atteindre les objectifs règlementaires. Alors même que le bâtiment avec balcons permettra des qualités d’habiter (et donc un service rendu) différentes.

Dans le même esprit, les locaux collectifs, tels que les buanderies, salles communes, ateliers… qui ne constituent pas de la surface habitable sont également pénalisants pour l’atteinte des objectifs règlementaires sur l’indicateur Ic,construction, alors qu’ils constituent des leviers de mutualisation, globalement bénéfiques à la transition carbone.

 

Responsabilité déléguée

Une autre famille de biais apportée par ce regard règlementaire concerne le fait que pour les produits qui devront être renouvelés au long de la vie du bâtiment, les choix vertueux réalisés à la construction sont supposés se perpétuer tout au long de la vie du bâtiment :  c’est le cas pour les produits de second œuvre, comme les peintures, qui présentent du coup un très bon rapport « surcoût économique / réduction carbone sur 50 ans » pour les maîtres d’ouvrage lors de la construction, alors qu’aucune disposition n’est exigée en pratique pour garantir ce renouvellement à l’identique.

 

Pérennité et réversibilité

Prendre des dispositions favorables à la prolongation de la durée de vie réelle du bâtiment est en pratique un vrai levier de réduction de son impact carbone global. Néanmoins, ces dispositions (rehaussement de la hauteur dalle à dalle, dispositions favorables à une réversibilité des usages du bâtiment, etc…) sont systématiquement défavorisées par l’analyse règlementaire.

Synthèse : des biais méthodologiques à comprendre avant que les objectifs règlementaires ne se renforcent

Valeurs seuil de l’indicateur d’impact carbone des produits de construction "Ic,construction" prévue par la RE2020 pour les logements collectifs neufs : l’exigence se durcit au fil du temps.
Valeurs seuil de l’indicateur d’impact carbone des produits de construction "Ic,construction" prévue par la RE2020 pour les logements collectifs neufs : l’exigence se durcit au fil du temps.

Les exemples cités ci-avant montrent que l’utilisation du calcul ACV conventionnel, sans prise de recul, peut conduire à des arbitrages allant à contresens des enjeux environnementaux approchés de façon globale.

Nous pressentons que tant que l’atteinte des objectifs règlementaires sur l’indicateur Ic,construction ne sera pas critique pour les acteurs du bâtiments, ces « leviers d’optimisation » ne seront pas forcément exploités en premier. Néanmoins, avec le durcissement des seuils, la tentation d’y recourir pour optimiser la conformité règlementaire augmentera… et les contresens environnementaux et de façon d’habiter les logements collectifs avec ! Il semble ainsi important de mettre à profit cette période d’acculturation pour s’approprier pleinement les mécanismes règlementaires, pour y répondre sans en faire des caps absolus de conception.